Joachim Montessuis a invité sa mère, médium, à faire «parler» le canal de l’Ourcq. Ses visions, visuelles ou sonores, sont disséminées dans les bulles sonores de Bobigny. Avant de les découvrir via l’appli SoundWays, rencontre avec l’artiste «guérisseur sonore».
Joachim, qui es-tu ?
Je dirais que je suis un « stalker », un passeur. Je fais passer des informations, ou des énergies, comme on veut, d’un plan non visible à notre plan. Je le fais en musique, en poésie, à ma façon, mais je ne dirais pas que je suis un poète ou un musicien. J’ai bien une formation artistique, à l’école d’art de Besançon, mais dans ces institutions très académiques, le type de travail que je fais n’est pas très bien considéré. J’ai par la suite intégré Le Fresnoy, où j’ai rencontré Olivier Le Gal et David Georges-François [les producteurs de MU, ndlr], avec qui je travaille désormais depuis dix ans.
Quel a été ton processus créatif pour ta contribution à SoundWays ?
J’ai sollicité ma mère médium, Solweig, que j’ai fait venir du Jura, où elle vit. Je l’ai invitée à faire une promenade de trois heures, tout au long du canal — un lieu qu’elle ne connaissait pas — et je lui ai demandé de me faire partager au micro tout ce qu’elle voyait, entendait et ressentait. Lorsqu’elle ferme les yeux, elle entend des voix qui lui parlent : on parle de « médium clairaudient ». Aux passages sélectionnés, j’ai ajouté des bourdons : des sons continus, réalisés avec une boîte à bourdons que j’ai d’ailleurs utilisée pour le concert live du 20 juillet, même si c’est une création tout à fait différente. Mes bulles de sons sont au bout du parcours sonore, à Bobigny. Elles sont géolocalisées en fonction des endroits précis où ma mère a vu des choses. C’est une promenade dans le monde non visible.
Es-tu familier de ce système de géolocalisation ?
J’ai inauguré les concerts géolocalisés sur bateaux-mouches avec MU, à Strasbourg, en 2008, pour le retour d’European Sound Delta. Ce concept des batoramas, initié par le collectif, a d’ailleurs été pompé partout depuis ! J’ai également réalisé une installation dédiée dans les jardins du Quai Branly il y a deux ans, à partir des archives musicales du musée. C’était du lourd : on n’avait pas encore l’application mobile, les spectateurs avaient un casque sur les oreilles et ordinateur portable dans une sacoche, qui permettait de faire tourner un programme costaud — il y avait des zones avec une quinzaine de sons superposés ! Avec le smartphone, c’est malheureusement bien plus limité…
Mix « Fleuve mouvementé » du live de Joachim Montessuis, sur la croisière live du 20 juillet :
Que représente « Canal Canal » dans ton œuvre ?
Il s’agit d’un tournant dans mon parcours. J’ai volontairement arrêté toute production visuelle en 2009. Je me focalise désormais sur des productions conceptuelles, non visibles, dont fait partie la musique. J’avais tendance, dans le passé, à garder pour moi cette question de la médiumnité, du dialogue avec les morts. Je la considère pourtant comme un des beaux-arts ; c’est une expérience de la vie, de notre relation à la réalité.
Possèdes-tu également un don de médium ?
Ma mère le pense. J’ai en tout cas vraiment l’impression de canaliser des choses avec ma musique. Mais je ne l’exprime pas sur un mode verbal, je capte le monde non visible en musique. A chaque fois que je fais un concert, j’ai l’impression de procéder à un rituel de guérison.
Extrait de « Canal Canal », pièce de Joachim Montessuis pour Bande Originale, 2014 :
Son site : www.autopoiese.org.
Application SoundWays à télécharger ici.
Interview : Marie Fantozzi ; photos : Zoë Valls (photo de une) et Sébastien Baverel ; vidéo : Benoît Méry, Sybil Montet, Clémence Reliat (son).
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