blabla © JP Corre

Clap de fin pour BO : on a dansé sur l’eau

Retour son

Polyphonique, le bouquet final de Bande Originale, à l’image de l’ensemble de la programmation de ce parcours sonore au fil du canal de l’Ourcq, débuté sous la pluie début juillet et qui s’est achevé (avec trèèès peu de pluie) dimanche. Retour sur les temps forts de ce dernier week-end.

 

Vendredi matin, on scratche les ponts avec KG Augenstern

Ils ont failli ne pas arriver à temps pour BO, partis de Berlin le 1er juillet à bord de leur péniche Anuschka, à raison de six heures de navigation quotidienne. Quelques avaries et aléas fluviaux plus tard, KG Augenstern, soit Christiane Prehn et Wolfgang Meyer, ont amarré leur péniche rafistolée (le toit a été arraché au passage d’un pont, le moteur secondaire a connu des ratés…) à l’embouchure des deux canaux, celui de l’Ourcq, bien connu des aficionados de BO, et celui de Saint-Denis.

En semaine, sous la pluie, la navigation à bord d’une péniche privée a une toute autre tonalité que celle des navettes du week-end, à l’ambiance estivalo-touristique de saison. Au contraire, l’Anuschka doit parfois laisser passer telle barge impressionnante des ciments Lafarge ou demander l’autorisation de faire demi-tour. Et puis, le canal de l’Ourcq un matin pluvieux d’août, c’est autre chose : de très rares joggeurs et promeneurs à chien et une ambiance dévolue au travail. D’ailleurs, au boulot, Christiane et Wolfgang y sont.

Les « tentacules » de l'Anuschka, la péniche du duo d'artistes KG Augenstern, en chemin de Berlin à Paris pour Bande Originale. © KG Augenstern

Les « tentacules » de l’Anuschka, la péniche du duo KG Augenstern, qui a fait le voyage de Berlin à Paris pour BO. © KG Augenstern

Sur le pont sont installés trois « tentacules », d’immenses cannes en fibre de carbone dont Christiane règle la hauteur en fonction de l’architecture des ponts à venir. Elle-même actionne à la main une canne, pour « scratcher les ponts » comme ils disent. Mais encore ? Depuis Berlin, chaque ouvrage sous lequel la péniche est passée a fait l’objet d’un « grattage », avec enregistrement et mise en ligne sur le canal SoundWays de KG Augenstern. Combien de ponts ont-ils ainsi griffés ? Eux-mêmes ne tiennent pas le compte, mais estiment qu’ils sont proches de la centaine. But du jeu ? Etablir une cartographie sonore des ponts de Berlin à Paris, puis de Paris jusqu’en Arles, où les artistes allemands ont prévu d’arriver « à un moment ou à un autre », pour préparer une installation à la galerie Huit, en mai 2015 dans le cadre d’Arles contemporain. Et quand on leur demande s’ils sont capables de reconnaître la qualité sonore d’un pont avant d’y passer, ils répondent en souriant que « non, ce n’est pas la structure métallique ou béton du pont » qui signerait son empreinte sonore, mais plutôt « une question de rythme ».

 

KG Augenstern, «Tentacules», sous le pont du RER entre Pantin et Bobigny, 2014 :

 

Les deux artistes berlinois, qui vivent sur l’Anuschka depuis six ans, signent une performance dans la durée, comme ils aiment à le faire : pour la Documenta 13 en 2012, ils avaient parcouru le trajet de Berlin à Kassel, cette fois-ci pour « capturer le vent », à raison de 10 litres par heures, qu’ils relâchèrent ensuite pendant la vague caniculaire que connaissait la capitale allemande de l’art contemporain. Une manière de sensibiliser à notre environnement de façon originale. Il était logique que ces deux-là s’insèrent dans Bande Originale !

 

A bord de l’Anuschka sur le canal de l’Ourcq :

—> KG Augenstern prépare une performance streamée du projet « Tentacles » depuis la galerie d’art sonore berlinoise Ohrenhoch, le 14/09/14, de 14h à 21 h.

 

Samedi après-midi, tous à la Plage MU du 6B

Tous, enfin pas complètement… Impossible d’être en même temps sur la croisière live au départ de Paris et à Saint-Denis. Du coup, nous avons recueilli des témoignages qui prouvent que le plateau réuni par Eric Daviron en amorce de la soirée dancefloor était pour le moins éclectique. La preuve en quatre avis non concordants, au tirage aléatoire sur les quelque 1 400 participants. Le premier, d’une spectatrice déjà croisée à la performance de π-Node au CND : « C’était du très bon son, j’ai adoré. » Le deuxième d’une jeune femme, visiblement énervée : « Trop nul, ce son. » Le troisième de Sybil, l’une des vidéastes qui fabriquent les vidéos de BO : « Antilles, c’était carrément de haut vol, un truc fou. » Et le quatrième, recueilli tardivement auprès d’un observateur attentif, présent depuis l’ouverture et prêt à aller jusqu’au bout de la nuit : « Les mômes du 93 sont restés un peu en retrait au début, tellement c’était expérimental. »

 

Antilles

Antilles, ça clive, pour résumer les avis récoltés sur place. © JP Corre

 

Samedi soir 20h, dernière croisière live

La même péniche (le Gavroche), le même point d’embarcation (à Stalingrad, Paris 19e), et pourtant, la dernière croisière live avec ses 116 passagers (le record de fréquentation des croisières live de BO) ne ressemblait pas vraiment à celles des week-ends précédents. Changement de décor d’abord, puisque le bateau allait jusqu’à la plage du 6B à Saint-Denis, empruntant exceptionnellement un canal bien plus industrieux que l’Ourcq, avec pas moins de cinq écluses en deux heures de navigation.

 

Une croisière live de passage dans l'écluse numéro 1 pour sortir de Paris en direction de Saint-Denis. © DR

Une croisière live de passage dans l’écluse numéro 1 pour sortir de Paris en direction de Saint-Denis. © DR

 

Dispositif scénique différent également : à force de scruter la météo, les organisateurs ont privilégié la scène intérieure, pour permettre aux deux duos invités, OttoannA et les Graciés, de bénéficier de la quadriphonie. Certes, la qualité sonore était bien au rendez-vous, mais le dispositif a de facto coupé le bateau en deux : à la proue, en extérieur, des fêtards surexcités prêts à en découdre toute la nuit (puisque le bateau accostait au 6B), en intérieur, dans une ambiance plus feutrée, les spectateurs venus expressément pour les improvisations de Rodolphe Alexis et Valérie Vivancos (OttoannA), et de Gaël Segalen et Eric Douglas Porter, alias Afrikan Sciences (les Graciés).

 

OttoannA live sur le Gavroche, samedi 9 août. © DR

OttoannA live sur le Gavroche, samedi 9 août. © DR

 

Enfin, le rythme syncopé de la navigation (dans une écluse, on attend, immobile, on s’enfonce en regardant les murs suinter), a rajouté de la complexité pour les artistes. OttoannA a réussi à synchroniser idéalement le passage de la première écluse, donnant le sentiment avec ses compositions issues des enregistrements de terrain de Rodolphe Alexis dans les deux grosses entreprises du canal (les ciments Lafarge et la BNP), de couler, sombrer puis renaître.

 

OttoannA, extrait de leur performance dans Bande Originale, le 9 août :

 

 

La nuit tombant, les Graciés ont joué les changements de rythme abrupts, à partir des captations réalisées par Gaël Segalen avec des danseurs à Pantin, alternant moments à la Throbbing Gristle et passages quasi hip-hop (le hip-hop de la musique concrète ?). C’était leur tout premier live, et le set enfiévré d’Afrikan Sciences dès son arrivée au 6B confirme qu’il s’agit là d’un début prometteur !

 

Se faisant face, Gaël Segalen et Afrikan Science, en live sur la péniche Gavroche. © DR

Se faisant face, Gaël Segalen et Afrikan Science, en live sur la péniche Gavroche. © DR

 

 Extrait de la performance des Graciés à bord de la péniche Gavroche, le 9 août :

 

Au 6B, la nuit la plus longue…

Après un mois de field recording et autres créations sonores, le festival Bande Originale posait les platines au 6B, autre lieu témoin d’un 93 en mutation. Pas si loin du canal de l’Ourcq et des navettes live, c’est toute l’équipe organisatrice et les artistes invités qu’on retrouvait à Saint-Denis ce soir-là. Dans l’esprit des soirées underground qui investissent les friches de la proche banlieue depuis bientôt trois ans, le collectif MU régalait d’un plateau soigné faisant la part belle aux artistes électroniques (La Mverte, Low Jack, Mondkopf) comme – et toujours – à l’expérimentation sonore (π-Node). Le tout servi au milieu d’un bâtiment bétonné, entre squat et résidence artistique.

 

Derrière ce vinyle se cache un grand DJ. © JP Corre

Derrière un grand vinyle se cache toujours un grand DJ, n’est-ce-pas Stil Eric ?. © JP Corre

 

Et la Fabrique à Rêve, le festival d’été du 6B, portait bien son nom en ce samedi 9 août : sable, transats, vodka/pastèque et fajitas au chile à quelques encablures du fleuve, rez-de-chaussée pour DJ’s plus grand public, avant de grimper au premier étage et choisir entre les expérimentations noisesques du collectif π-Node, et un line-up de DJ-sets qui devait contenter les plus exigeants.

 

On chille tranquille avant le début des hostilités. © JP Corre

Dehors, on chille tranquille avant le début des hostilités. © JP Corre

 

Afrikan Sciences a confirmé sa réputation montante, avec un set nerveux en diable. Le néo-afrofuturisme a son étoile. Pour récupérer de son groove qui fait chauffer sous le diamant de la platine ses vinyles les plus funky, Arthur, petite chemise à carreaux, barbe soignée et yeux hagards derrière des verres en cul de bouteille, se repose sur l’inconnu devant lui. Etonné mais conciliant, son accoudoir lui demande s’il est seul : « Non, mes amis sont partis s’aérer mais j’arrive pas à décrocher de la musique. Je suis comme une mouche sur du papier ». Cet habitué du 6B, qui se félicite que le lieu ait trouvé une stabilité de programmation et d’organisation, est visiblement loin d’en être à sa première soirée électro… Et celle-ci n’est apparemment pas la plus calme.

 

Clôture de BO au 6B:

 

Low Jack.  © JP Corre

Low Jack attaque. © JP Corre

Autre beau moment de la soirée : le set de Low Jack. Signé sur le label In Paradisum, de son acolyte Mondkopf, mais s’autorisant quelques envolées avec l’excellent Ron Morelli et L.I.E.S., l’homme était chargé d’animer la tranche 00h30-02h et il ne s’est pas privé de nous embarquer à travers un voyage sensoriel fait de samples improbables, de slaves brutales et de beats bien sentis. Un spectre large d’influences pour un set à la structure infaillible et à l’efficacité redoutable, que la foule de plus en plus compacte accueillait avec des mouvements de plus en plus saccadés. Plus tard, Svengalisghost basculait la tête dans tous les sens devant les consoles, sans jamais s’aplatir le crâne dans sa transe nerveuse, largement partagée avec un public depuis longtemps trempé de sueur.

 

blabla © JP Corre

© JP Corre

 

Dans le couloir du premier étage, la projection vidéo est devenue le théâtre d’ombres chinoises dont la palme revient à ce jeune homme se rêvant Superman face au décor des montagnes qui défile. Dans la salle voisine, les artistes du collectif π-Node continuent à faire vrombir leur cocon sonore, avec la récitation de ce qui semble être un classique de sciences sociales par-dessus les bourdonnements des ondes. Dans ce chassé-croisé de salles et d’étages, certains sont achevés par les tribulations saturées de Mondkopf, suant eau et sang dans l’étuve qu’est devenu le premier étage, tandis qu’en bas, Beau Travail ne laisse pas les derniers danseurs en reste, déjà très en forme grâce au set précédent, de la seule femme DJ de la soirée, Sascii.

 

Sascii (Dokidoki) © JP Corre

Sascii (Dokidoki) © JP Corre

 

Pendant une pause nécessaire pour reposer le rythme des cœurs câblés directement aux beats des sets, nous trouvons Alexandre Berly (aka La Mverte) sur la plage. Il a ouvert le bal ce samedi soir et on parle coquillage et crustacés. Son péché mignon : déguster un plat d’huîtres en rentrant de soirée. Si nous n’avons malheureusement pas croisé de poissonnerie sur le chemin du retour, nous avons retrouvé les traits tirés des usagers du RER B partant au travail ou pour toute autre destination matinale. Et qui ne semblent pas (ou plus) étonnés des visages pâles des fêtards, cachés pour certains derrière une paire de lunettes de soleil. Migrations pendulaires des petits matins.

Bilan de la soirée : au bar, 35 fûts de 50 litres de bières, 50 litres de rhum gingembre, 50 litres de vodka pastèque, 15 litres de planteur, 450 petites bouteilles d’eau de 50cl, 240 canettes de Coca-cola, 100 litres de jus de fruit. Et pour BO alors ? Du côté de l’organisation, on réfléchit déjà sérieusement à l’après, et notamment à pérenniser la manifestation. Plusieurs pistes sont examinées, d’un parcours étendu (de Boulogne à Saint-Denis) à une déclinaison berlinoise. La BO#1 à peine terminée, on se dit à bientôt pour une BO#2 ?

 

Texte : Louise Bonnard, Marie Fantozzi, Adrien Pollin, Annick Rivoire ; photos : Jipé Corre (dont photo de une), DR, KG Augenstern ; vidéo : Benoît Méry, Sybil Montet et Clémence Reliat (son).

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Le 14 août 2014
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