Le studio électroacoustique du Conservatoire à rayonnement départemental (CRD) de Pantin a été fondé en 1972. La compositrice Christine Groult y enseigne depuis 1990 dans le prolongement de la démarche concrète de Pierre Schaeffer. Pour BO, elle a créé en duo une pièce qui fait appel à la mémoire du canal.
D’où est partie cette collaboration avec Bande Originale ?
Bande Originale se passant sur le canal de l’Ourcq, c’était l’occasion rêvée pour le Conservatoire à rayonnement départemental (CRD) de Pantin de collaborer avec ce collectif atypique qu’est MU. Ce qu’on a fait en adaptant deux moments musicaux provenant de sons captés sur le canal. Une fois retravaillés, on les a placés sur des zones précises du bassin de la Villette afin que ces bulles s’interpénètrent au gré de la géolocalisation des péniches ou de la déambulation des auditeurs. Cette forme de composition ouverte a été très stimulante pour nous.
Vous enseignez au CRD dans une « tradition schaefferienne», pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit…
En 1948, Pierre Schaeffer va placer l’expérience auditive au cœur de sa réflexion. C’est l’aspect expérimental de cette démarche (la fameuse « démarche concrète » où la composition est fondée sur l’écoute directe du résultat à partir de sons créés ou captés et transformés) allié à une manipulation de sons « bruts » déjà « trouvés », qui pousse Pierre Schaeffer à forger le terme de « musique concrète ».
Cette musique se fabrique à même la matière sonore : on taille tel le sculpteur. On régit le temps et on crée le mouvement, jouant de la répétition et de l’attente, de la continuité et de la rupture, de la fluidité et du heurt, de l’opacité et de la clarté… Il s’agit d’une culture nouvelle, celle du mouvement, de la matière et de l’espace, l’éveil d’une nouvelle sensibilité musicale. Cette musique diffusée sur des haut-parleurs s’adapte à toute sorte d’architectures et de sites.
« Canal multiple », Christine Groult et Marco Marini (CRD), commande de la ville de Pantin recréée pour Bande Originale, extrait :
Pour quelles raisons cherchez-vous à valoriser l’environnement du canal, lieu chargé d’une histoire que le public ne connaît pas toujours. C’est important, selon vous, d’explorer la mémoire de ces lieux ?
Notre musique électroacoustique utilise souvent des matériaux appartenant à une mémoire sonore collective. Le son est un patrimoine, au même titre que la photographie, il est important et urgent d’en recueillir la trace et la mémoire. Il engage en chacun de nous une production d’imaginaire, les relations entre l’audible, l’espace et la mémoire. Le canal est un lieu de proximité situé à la croisée des chemins et des histoires, en pleine effervescence. Prêter, grâce au micro, une « oreille » qui interroge un site passé (traces d’une époque d’industrialisation) et présent est enrichissant.
Et puis je parcours ce canal depuis quarante ans. J’ai donc vécu sa transformation : j’ai assisté à la démolition des abattoirs de la Villette, j’ai vu le site se métamorphoser. Ce paysage insolite, désert et glauque me fascinait. C’est fabuleux la transformation d’un paysage urbain.
En 2004, j’ai collaboré à Variation N°19. Il s’agissait d’une promenade artistique à vélo (équipés de haut-parleurs) le long du canal. Je rêvais alors de déclenchement par infrarouge. Dix ans plus tard, le collectif MU propose la géolocalisation. Quel pas incroyable !
« Building Matières », Emmanuel Candeias et Pierre Mourles (CRD), création pour BO, extrait :
Le site de Christine Groult : musicinsitu.eu
Application SoundWays à télécharger ici.
Interview : Louise Bonnard ; photo de une (au vernissage de Bande Originale) : JiPé Corre.
« Jean-Philippe Renoult : «Le micro, c’est mon pinceau» BO à flot à flux à fond »